Comment les femmes créent-elles leurs entreprises ? Quelles sont les spécificités de leurs parcours, les obstacles rencontrés ? Typhaine Lebègue, enseignante-chercheure à France Business School Tours et auteure de la première thèse sur l’entrepreneuriat au féminin, est venue témoigner lors du Club Voy’elles du 8 avril 2013.
« Il existe aujourd’hui très peu d’études sur les femmes-entrepreneuses en France » pose Typhaine Lebègue, auteure de la première thèse sur le sujet. Pour pallier cette lacune – et surtout mieux comprendre les différentes dimensions de ce processus entrepreneurial – la jeune enseignante-chercheure en a suivi plus de 80. « J’ai co-créé un club de femmes entrepreneuses dans ce but « , explique-t-elle. Un terrain d’études qu’elle complète avec des voyages réguliers au Canada auprès du réseau des Femmes d’affaires du Québec ou encore de Femmessor, des réseaux de femmes-entrepreneuses très actifs en Belgique ou encore comme intervenante au French Business Council aux Emirats Arabes Unis… »parce que beaucoup de femmes s’expatrient grâce à leur conjoint » ajoute-t-elle avec une pointe d’ironie.
Au départ, ce constat : 30% des chefs d’entreprises en France sont des femmes. Pourtant, lors des réunions dédiées à la création d’entreprise, elles représentent la moitié des participants. « Il y a un déficit en cours de processus, entre l’intention et le passage à l’acte. Un élagage qui s’explique par plusieurs facteurs « .
L’accompagnement des créatrices, talon d’Achille ?
Parmi les obstacles que certaines porteuses de projet ne surmontent pas : l’élaboration du business plan, souvent trop réducteur, alors que leur process de création s’inscrit dans un véritable projet de vie. La notion de « réussite entrepreneuriale » joue ainsi un rôle crucial dans la poursuite du projet. Typhaine Lebègue pointe à ce titre l’aspect fondamental de l’accompagnement. » Que met-on derrière cette notion de réussite ? En la résumant à un simple chiffre d’affaires à atteindre, on peut aboutir à un échec de l’accompagnement. Car il s’agit bien pour ces femmes de donner du sens à leurs projets, à la vie d’autrui, et d’en faire une source d’accomplissement « .
Autre facteur décisif : le rôle du conjoint. « La créatrice en attend un écho positif, qu’il manifeste son soutien….un besoin que n’exprime pas, à l’inverse, un créateur d’entreprise « . Tout en soulignant que « les rôles peuvent évoluer » au fur et à mesure du process, elle a recensé plusieurs profils comportementaux. « Parmi ceux qui soutiennent, il y a les conjoints qui encouragent moralement, et ceux qui sont d’un soutien plus opérationnel, qui aident à la comptabilité ou à la création d’un site Internet » cite-t-elle. Dans d’autres cas, le projet de création d’entreprise peut bousculer les rôles au sein du couple, voire le déséquilibrer. « Quand on crée son entreprise, on devient responsable de toutes les décisions prises à ce titre. Cette situation peut impacter la sphère familiale « . Pour Typhaine Lebègue, nul doute que l’entrepreneuriat agit « comme un révélateur au sein du couple » et que c’est pour cette raison « qu’il faut intégrer les conjoints dans l’accompagnement « .
Développer des role models
La solution pour favoriser l’accès des femmes au statut de chef d’entreprise ? « Pas de légiférer à ce niveau en tout cas » affirme l’enseignante-chercheure. « Aux Etats-Unis, environ 48% des femmes sont chefs d’entreprise, non seulement parce qu’on a mené depuis longtemps une politique active dans ce sens, comme avec l’interdiction de la discrimination sur la base du sexe pour l’accès au crédit, mais parce que la culture entrepreneuriale est vraiment différente là-bas « . Avec la publication de sa thèse, Typhaine Lebègue contribue à mieux cerner les contours de l’entrepreneuriat au féminin. Pour agir, elle préconise une révision du système actuel d’accompagnement des porteuses de projet, mais aussi le déploiement de role models, en donnant » de la visibilité à des femmes chefs d’entreprise crédibles, accessibles, qui inspirent d’autres femmes » . Et c’est justement ce que l’association orléanaise Voy’elles fait, au jour le jour.